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Bafouille

Comment (ne pas) réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard ?

(Posté sur le forum Ultrafondus)

Bonjour à tous,

Bon voilà quelques jours que je réfléchis à ce que je vais pouvoir vous raconter sur ces 100 kilomètres du Loire Béconnais... Que retenir ? Comment le raconter ? Et voilà autant de jours que je n'en ai pas la moindre idée. Alors voilà c'est décidé, ça va être du freestyle, du n'importe quoi, de la connerie au kilomètre comme un chapelet de saucisse autour du cou du vainqueur d'une course de village... Prêt pour quelques foulées dans le néant de la rigueur, le désert du bon goût, le supermarché de la blague carambar, un monde de l'à peu près, le royaume d'un esprit faible et simple ? Enfilez vos tongs, ouvrez votre bière, collez deux ou trois tartes aux gamins pour qu'ils se tiennent à carreau pendant ces instants religieux de lecture biblique...

Il était une fois, ... Non, stop, stop. Non ça ne va pas là !

Souvenez-vous ! Mon dernier 100 bornes.... Non ça, ça va faire pleurer les ménagères de plus de 50 ans...

Tiens, voilà je vais commencer par vous parler d'un film. Oui, voilà, je vais vous parler d'un de mes films cultes. Un navet des années 70, mais pour moi un bijou signé Audiard. Une synthèse au titre évocateur « Comment réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard ». Un casting à faire pâlir, Jean Carmet dans le rôle principal du pleurnichard Antoine Robineau, Stéphane Audran, superbe en Cécile épouse de l'infâme Gérard joué par Jean-Pierre Marielle (aussi bon que dans les délicieuses Galettes de Pont-Aven, c'est dire !). Et puis aussi et surtout Jane Birkin, égérie du pianiste has been Foisnard joué par Jean Rochefort. Le tout agrémenté de la présence déjantée de Evelyne Buyle dans le rôle de la folle Marie-Josée, nymphomane suicidaire, et Daniel Prévost déjà forcené... Avec le pitch, vous allez vous dire « bon sang, mais oui, je connais ». Bon alors, voilà le pitch :
« Les tribulations d'un représentant de commerce, dont les perpétuelles lamentations ont un effet bénéfique sur ses affaires et sa vie sentimentale. Voilà des années qu'Antoine Robineau produit un ignoble vermouth, qu'il vend de café en café. Mais les clients se raréfient et Robineau doit s'inventer des peines de coeur et se lamenter sur son sort pour attendrir les cafetiers. La méthode produisant les effets escomptés, il décide de l'appliquer à sa vie amoureuse. Non sans succès. Jane, strip-teaseuse et compagne de son ami Foisnard, ne tarde pas en effet à se prendre de tendresse pour lui. Mais voici qu'Antoine s'amourache de l'élégante Marie-Josée, hôtesse dans un palace parisien. »

Bon à cet instant, vous vous demandez pourquoi je vous parle de ce navet, pensant que tout cela arrive comme un cheveu sur la soupe... de navets. Bon allez, soit, je me fais plaisir mais pas seulement...

En ce début 2004, l'envie de courir se faisant de plus en plus pressante, je cherche une épreuve de référence, un truc repère pour moi. Quatre ans et demi que j'ai pas vu une arrivée de 100 bornes et un échec millavois toujours présent, toujours à vif.

« Foisnard, un minable qui vit sur sa réputation, ben, c'est comme un champion qui ne mettrait jamais son titre en jeu » Tu as raison Jane ! Me voilà donc compulsant fiévreusement l'ultra calendrier de l'année à la recherche de l'épreuve phare de mon premier semestre. Et là, pof !, je tombe sur le championnat de France. Nickel chrome, j'en serai ! J'axe donc très tôt ma préparation sur cet objectif. Passé le trail de la Vallée de Chevreuse, mon esprit -ou du moins ce que je considère comme tel- se tourne résolument vers cette course. Je me programme chaque semaine une sortie longue, deux séances de VMA et un total de 6 séances tout compris. Pour me persuader que je suis prudent, je suis vigilant sur les périodes calendaires glissantes de 7 jours. C'est-à-dire que l'on peut très bien s'entraîner 7 jours consécutivement à cheval sur deux semaines sans s'apercevoir de la charge, une semaine comptant 4 jours d'entraînement par exemple et l'autre 3. En plus, je blinde au niveau étirements. Au début du moins... Ma rencontre avec Bruno Heubi m'en apprend plus que des années de lecture et me conforte dans mes théories ! Mes théories seulement... malheureusement ! A l'arrivée des 3 heures de Balma -que Fred Rossignol et moi avons courues dans du beurre- le 8 mai, les genoux commencent à me titiller. Et là, nouveau parallèle, nouvelle prophétie de Jane. Elle vient alors de passer un grand moment d'amour avec Antoine Robineau (vous suivez toujours ?) et de son délicieux « british accent » :
«  J'étais sûr que tu étais formidable... Je suis pas déçue. Tu m'a loupée comme un chef! T'as pas arrêté de dire des conneries, t'as failli m'étouffer au paddock avec ta cigarette, tu portes un maillot de corps, tu gardes tes chaussettes... Y'a même ta maman. y'a tout ! Une synthèse, tu es une synthèse...» Et moi aussi... J'accumule alors les bêtises depuis quelques temps et je vais poursuivre sur cette voix. Les étirements s'espacent et sont faits en dépit du bon sens et puis je redeviens con-con, obsessionnel de l'entraînement.

A l'approche de la date fatidique, la pression monte. La passion aussi ! Nous devons « tous » nous retrouver dans un gîte loué à 40 bornes de la course au milieu d'une propriété viticole. Cette perspective me réjouit mais la peur me tenaille d'autant que les genoux se font douloureux après une heure de course. Douloureux finalement non, curieux, ankylosés... Et tout s'arrête dès que j'arrête aussi. Un ostéopathe y met de l'ordre huit jours avant la course et une dernière ligne droite d'étirements parvient presque à me rassurer. Alors je me remémore mes campagnes passées. Et là, nouvelle synthèse. Version Jean-Pierre Marielle cette fois :
«Chaque fois que nous faisons l'amour, c'est-à-dire pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle m'oblige à lui raconter ma vie, ma guerre, ma réussite... Mes succès féminins... Oh, si je vous disais qu'hier, alors que je venais d'assouvir ses sens, elle, inerte, sur le lit dévasté... Moi, lui racontant comment j'avais satisfait aux exigences de huit femmes dans un boxon de Mostaganem, elle m'a regardé droit dans les yeux et elle m'a dit... que j'étais une synthèse... »

Nouvelle synthèse de la mythomanie, de la panique, de la bêtise. Je flippe gravement, entrevoyant le spectre millavois de septembre dernier se profiler à l'horizon de ce dimanche.  Et puis le miracle se produit ! Le jeudi avant la course me voilà apaisé, ne pensant plus qu'à croquer cette course. Vous rendez vous compte de ces ressources que recèle mon corps ingrat et disgracieux de post-pubère ? Vous en rendez vous compte ? Oui, et bien vous avez tort ! Cet apaisement vient peut être d'une petite voix au fond de moi, mais il vient surtout de Nathalie peu portée à m'entendre geindre et plus encore des deux Bruno, Rouiller et Heubi, qui m'ont copieusement remonté les bretelles. Je crois même qu'ils les ont laissées claquer sur mon dos...

Bref, nous voici donc à vendredi matin. Place à la course et à ses préparatifs ! J'ai pris la journée histoire de tout préparer tranquillement. Un problème de voiture me fait un instant craindre de devoir faire le trajet en Twingo. Finalement il n'en sera rien et après être allé acheté de la saucisse et des fritons (indispensables pour aller courir un Ultra), je peux m'occuper de faire les interludes musicaux que Dominique, mon suiveur, pourra mixer au gré de ma forme et de mes envies durant la course. Je suis euphorique durant cette journée, rien à voir avec le speed qui m'avait envahi avant Millau. Oubliés les histoires de genoux, les doutes sur la préparation. Je m'envole vers le petit nuage sur lequel je me trouve toujours à l'heure où j'écris ces lignes. Je passe le vendredi après midi à l'école de Cécile pour aider à la kermesse mais je commence à avoir la tête du côté d'Angers. Oh pas dans le course, non, plutôt dans le week-end qui nous attend. Le téléphone portable chauffe sec et je suis souvent en contact avec Fred. Il a quelques pépins mais se laisse glisser lui aussi dans un bain joyeux.

Je passe sur le départ le vendredi soir vers Lacanau où nous devons laisser nos filles chez mes beaux parents. Le vrai départ pour le lieu de la course est prévu pour le samedi matin. Pour la première fois depuis que je cours des 100 bornes (c'est mon neuvième), je me trouve paisible, confiant et très heureux d'en découdre. Le samedi midi nous retrouvons Fred qui nous a invités à déjeuner chez lui. L'occasion pour Nathalie et moi de retrouver Fred, sa douce et les enfants et aussi de faire connaissance avec Jean-Marie, son suiveur ; un mec cintré de chez cintré, prompt à coller des boîtes les unes derrière les autres. Un humour acide comme j'aime et un sourire vrillant rapidement en éclat de rire, bref, d'emblée le gars Jean-Marie m'explose. En début d'après midi, Fred laisse à regret sa douce qui doit passer ses derniers examens le lundi. Fred est stressé quelque peu et s'amuse à me faire monter la mayonnaise en comptant les heures qui nous séparent du départ. Je suis serein, tellement serein, mais puta. qu'il arrête, c'est vrai que c'est proche ! Dès la sortie de Niort la conduite féminine de Nathalie et le ron-ron mélodieux du turbo Renault, me plonge dans une somnolence délicieusement réparatrice.

Après une paire d'heures de route nous voilà dans la place. L'entrée dans Saint Augustin des Bois finit de me réveiller. Dès notre arrivée dans cette ville bénie, le premier miracle s'accomplit, une rencontre avec une légende moribonde certes mais vivante... André, le coureur Grolandais (qui a dit « gros landais » ?), est là, assis comme un malheureux au bord de la route. En nous voyant, il déplie sa grande carcasse dévoilant au passage un... tee-shirt qui m'explose. Il est rouge (le tee-shirt et André aussi, mais ça c'est d'attendre en plein soleil) avec écrit en grandes lettres blanches « je veux mourir ». Les plis du ventre (non là je déconne) cachent un mot écrit dessous en plus petit. Voilà, c'est ça « je veux mourir (vieux) ». A mon tour de mourir mais de rire ... et jeune ! On se serre la louche comme de vieux amis et André nous pilote alors dans la banlieue de ce haut lieu du 100 bornes.

Un quart d'heure plus tard, c'est mon suiveur du lendemain, Dominique « Monstertruck » dit « La poutre » (il jouait numéro 2 au rugby) que l'on retrouve. Réservé voire timide mais amical, je suis content de le retrouver. Je lui ai promis le meilleur pour le lendemain et aussi pour le soir même. Les dossards récupérés, je passe un coup de fil à Bruno Heubi qui me fait une description quelque peu effrayante -mais qui s'avérera honnête- du parcours. Bruno décline l'invitation pour le dîner et voilà donc la petite bande qui repart à 40 kilomètres au sud, vers Champ sur Layon où j'ai trouvé un gîte en location.

Heureuse surprise quand nous y arrivons, le susdit gîte est situé dans une propriété viticole et il offre tout le confort, et même plus ! A peine le temps de descendre de prendre possession des clefs, qu'une nouvelle voiture se pointe. Voilà le dernier à nous rejoindre, celui que j'attendais de rencontrer depuis « pause » (prononcez « pa-ause » ça fera plaisir à Nathalie.). Cyrano est aux commandes avec madame à ses côtés. Le gars Cyrano est conforme à notre ami du forum. De la malice, de l'humour, à l'affût de tout. Et surtout un épicurien gascon que rien ne semble atteindre. La soirée le confirme !

Aussitôt les affaires déballées, nous attaquons les agapes. Foie gras amené et surtout préparé par Cyrano, fritons, Pineau des Charentes, saucisses de Toulouse, Fromages qui puent, pinard et pinard, Dominique a même amené une bouteille de bière d'une autre galaxie. Un monstre au doux nom de Saint Erlin, sûrement un breuvage divin. Pour ma part, je reste sobre et Fred aussi. Le repas fini, la tension pour certains dont je suis, monte d'un cran. C'est l'heure des ultimes préparatifs et autres ajustements avec les suiveurs et ce grand couillon de Fred qui continue d'égrainer les heures dans un compte à rebours à tordre les boyaux y compris ceux de la tête...

Au sujet du paquetage du suiveur, tous ont halluciné en écoutant les CDs que j'ai préparés pour le lendemain. De mes grands classiques Doors et Supertramp que je réserve au petit jour, je passe allègrement au rock français avec notamment le dernier Frandol, un bijou qui a rythmé ma fin de préparation et puis surtout un « n'importe quoi » avec des musiques de films (Milou en mai, Les Valseuses, Les Tonton flingueurs, Ne nous fâchons pas, Le monocle) qui se finit avec des bandas, la musique de fin de nuit des parisiens, que je réserve pour une fin de course que je n'imagine qu'aérienne et tonitruante.

Et puis c'est l'heure de briefer Dominique, mon poisson pilote, sur les allures, les bidons et leur contenu et les horaires, fréquences de ravitaillement. Je fais presque du Antoine Robineau, l'homme au vermouth et aux horloges qui pour une caisse de Vulcani, le vermouth des intrépides, achetée vous offre une pendule. Mais laissons le vous vanter ce savant mariage lui-même.

«  Présence mystérieuse, le volcan, jadis maléfique, a été domestiqué pour devenir l'ami de l'homme... Le bienfaiteur de l'organisme... En dehors de ses fabuleuses propriétés, telles que réchauffer en hiver, rafraîchir en été, stimuler les lymphatiques et calmer les névropathes, c'est une explosion d'art et de rêve que le Roi des Vermouths offre à la méditation des poètes !... Le Vulcani ne fait pas de réclame... Arrière, la bête hideuse !... Il fait entrer le génie de l'humanité dans le foyer du consommateur... Je m'explique. Pour tout achat d'une douzaine de bouteilles de... du précieux nectar, Vulcani vous offre non seulement la Pléiade des cendriers coulés dans la lave des Îles Éoliennes, mais encore... ça !... L'aristocratie de Westminster... La robustesse de Besançon... La finition suisse... Le chic parisien... »

Pas besoin de jouer les représentants placiers, Dominique déjà convaincu m'écoute avec attention. Pourtant, quelques heures plus tard, je mélangerai tout, épuisé et ne me laissant guider que par mon instinct comme un Antoine Robineau qui finira par offrir une caisse de Vulcani pour l'achat d'une horloge.

La nuit qui se profile sera courte, le réveil est programmé pour 3 heures pétantes. La lumière éteinte vers 22h30, quelques maux de ventre, vague réminiscence de Millau, me rappellent que rien n'est acquis. La présence de Nathalie contre moi me rassure définitivement.
A 3h00, le réveil met fin à un sommeil agité mais suffisant. Habillé, avec une grande première, une socquette pointure 39-42 au pied gauche, une 43-46 au pied droit( c'était ça ou je courais avec des socquettes trouées, une honte.), je retrouve mes acolytes dans la cuisine. Quelques blagues fusent, mais comme toujours au réveil, j'ai une tête de pruneau et je suis peu porté à la discussion (c'est peut être le seul moment de la journée). A 3h30, après que Cyrano ait mis un coup de sonnette en croyant éteindre la lumière, tirant nos épouses du sommeil, la troupe se met en route. Sur les 40 minutes du trajet, je mange le gatosport et je récapitule mes consignes de courses avec Dominique. Je pense alors à l'affreux Jean-Pierre Marielle qui parlant de sa maîtresse, s'exclame « La tête dure et la fesse molle... Le contraire de ce que j'aime ! ». Je me fixe comme but de courir le plus possible, de partir doucement et de toujours avoir la tête dure et les cuisses molles sinon souples, comme la foulée. Vou pieux ! L'objectif est de respecter l'allure spécifique, 12-12,5km/h, et de prendre un maximum de plaisir.

La nuit est d'encre, et l'arrivée sur le parking de la course est irréelle. C'est sombre, des bruits de voix d'amis qui se cherchent, une appréhension palpable, des odeurs de pommades et autres élixirs de réussite.

Je garde de la ligne de départ un souvenir biaisé certainement mais formidable. Une lumière qui me semble blafarde, peu de monde et puis 10 minutes avant le départ, une nuée de coureurs volants et silencieux se posent sous le lampadaire. Peu de temps pour gamberger, quelques mots avec Cyrano. Je pense furtivement à Nathalie, à mes filles en ces jours de fêtes des pères. J'imagine mon père éveillé quelque part en vacances en Bretagne et qui doit m'accompagner de la pensée. Je regrette son absence, je sais qu'il va me manquer même si Dominique sera un suiveur de rêve. Des idées confuses se bousculent, Alain notre millepattes, Bruno de Vannes et Bernard, notre rude transaméricain, passent dans mes pensées. Je cherche Bruno Heubi du regard dans la nuit noire, un dernier signe à mon double Fred et c'est parti.

Une bulle de bonheur me remonte dans la gorge au moment où nous passons devant tous les suiveurs devant l'église. Les sensations sont bonnes mais le froid est perçant. C'est parti pour une journée qui s'annonce belle, rude, de celles qui compteront sûrement.

Premier kilomètre en 5'15, une vraie nouveauté pour moi. Dans la traversée du bois très sombre j'ai fait attention. Je laisse défiler tranquillement les kilomètres et me retrouve rapidement à quelques dizaines de mètres de Karine Herry en compagnie de Laurence Fricotteaux qui finira seconde. C'est son premier 100km et comme Bruno m'a parlé d'elle nous avons par moments de bribes de conversations.

Au 5 ième kilomètre, on retrouve les suiveurs. Ca fait 25 minutes que nous sommes partis, ma prudence m'étonne autant qu'elle me rassure. Le manège du ravitaillement commence mais je trouve les boissons très fraîches, limite froides. D'emblée le parcours que je découvre nous dévoile des bosses, des descentes et de nombreuses parties tortueuses. Vers le dixième kilomètre atteint en 50 minutes, je demande à mes compagnons du jour si le fait que j'écoute de la musique les ennuie. Ils doivent penser à un lecteur MP3 sur les oreilles et sont assez étonnés d'entendre Supertramp s'échapper du vélo de Dominique.

Ces instants sont magiques. Face à nous l'est et les toutes premières lueurs du jour et dans nos oreilles, en douceur, ces voix qui me font frissonner d'un bonheur attendu, maintes fois vécu mais toujours aussi reconstructeur. « It's a long road » nous place dans l'ambiance. Cet album est l'incarnation de ces courses d'ultra datant d'ailleurs de leur émergence en Europe.
« Well, good company,
It makes comfort me. »

Je me sens comme ivre de joie, vivant enfin des instants espérés, le temps a suspendu sa course me laissant jouir de cette sensation impalpable, de cette certitude que je n'oublierai pas ces moments.

La première boucle de 33 kms se passe ainsi, dans la facilité et les bons moments. Par prudence, j'ai laissé de la distance avec le groupe des filles qui jouent la gagne. Je ne veux pas les gêner et puis elle se livre à partir du 20 ième kilomètre au petit jeu des mines, qui je le sais peut s'avérer catastrophique. A ce moment, Karine Herry m'impressionne par le poids qu'elle met sur la course. Vers le 25 ième kilomètre je rattrape un maillot jaune et vert musical. Le garçon doit être mélomane et pète allègrement avec une voix claire -mais ce n'est pas une voix de tête- dont la tessiture n'est pas sans rappeler les plus beaux ensembles vocaux. Nous plaisantons quelques instants sur cet intermède et lui m'explique que c'est son épouse qui d'ailleurs le suit en vélo qui lui a appris cet art difficile de la pétomanie distinguée. Quelques notes plus loin, je plonge dans les Doors. Lorsque Hyacinth House s'échappe du lecteur CD, je pense à mon Bruno breton qui en connaît à présent la toute première prise.
« I need a brand new friend
Who doesn't bother me
..
I think that somebody's near
I'm sure that someone is following me »

Un peu plus loin quand les premières gouttes de "Riders on the storm" ruisselent sur le clavier, de grosses larmes de joie coulent sur mes joue. Je ne sais pas si Dominique les a vues ; j'aurais eu honte qu'il les voit. Et pourtant sa présence discrète et attentionnée rendait cette course plus belle encore.

Le premier tour se finit sans aucune inquiétude ou appréhension. Le 40 ième kilomètre atteint en 3h16 me voit amorcer un changement. La fatigue s'immisce et un arrêt pipi au marathon sonne le glas des bonnes impressions. J'entre alors dans un moment difficile et je ne connaîtrai plus l'aisance de la première boucle. Le passage dans le village de Bécon les Granits confirme la mauvaise impression. La course est dense et des wagons reviennent sur moi. Régulièrement, les portables sonnent et Dominique répète -et il a raison- que je tiens mes objectifs. Pourtant au fond de moi, une voix me dit que ce sera dur, très dur.

Le caloreen passe toujours mais plus la « pâte de fruits horaire ». J'introduis du coca et la mi course est atteinte ainsi en mois de 4h09. Pas trop mal mais mon allure aux 10 kilomètres vient de passer la barre des 52 minutes. Elle y restera.

Alors maintenant je m'accroche guettant chaque instant de plaisir pour le croquer comme un mort de faim. Dominique remet un coup de Doors mais je reste obsédé par le vent qui s'est levé et souffle légèrement mais suffisament de face dans la seule partie facile. A cet instant, c'est Frandol qu'il m'aurait fallu.
« Le sol est dur, le sol est froid,
Je t'apprendrai à l'éviter,
Le sol est dur, le sol est froid,
Je t'élèverai sans gravité
Je te ferai décoller du sol. »

Ce serait bien, et mieux plongé dans une torpeur insouciante.
« Vous fixez la lumière
Moi, je vous fixe électrisé,
Je ferme les paupières
Je vous écoute m'anesthésier. »

Peu après le kilomètre 60, Nathalie est là avec la femme de Cyrano. Je suis super content de la voir. Une bise plus tard, je repars vers une arrivée que je sais certaine. Plus qu'un tour et des brouettes, mais pour ce qui est du temps.

Ce dernier tour sera mon Waterloo. J'ai régulièrement des nouvelles de Fred par son suiveur. J'apprendrai plus tard qu'après s'être malaxé à la percutalgine gel, il a profité de son arrêt pour une pause pipi. Bon choix sauf quand on ne sait pas uriner sans les mains. Sacré Fred ! Pour ma part, je m'en fous du temps, je ne pense plus qu'à une chose FINIR ! Mes quadriceps sont carbonisés et après les arrêts aux ravitaillements, je commence à marcher par intermittence. Plus la peine d'espérer. Dominique semble y croire encore ou fait mine du moins. Sur son tableau de marche, je peux encore exploser mon record. Exact, mais encore faudrait il que j'avance à plus de 10 ce qui n'est plus le cas. D'ailleurs au téléphone, le coach Dominique dit des trucs du style « On connaît un moment difficile mais (là il parle plus fort) on va se ressaisir ». Ah Dominique, si tu savais comme tes réponses m'ont fait du bien même si je n'y croyais pas ou plus. Je le répète, tu as été un suiveur formidable.

Le dernier passage à Bécon au km 80 m'offre le moment le plus difficile et dangereux de la course. Je suis réellement cuit, certainement en hypoglycémie. La température est maintenant haute et pourtant je me couvre avec un maillot à manches. Je pète de froid. Je laisse passer cet orage dans mon corps, souffrant un peu plus du vent que je retrouve sur cette portion. A cet instant tout se mélange. Les sonneries de la montre pour les ravitaillements, les envies de ci, les besoins de ça. Et Jane qui me dit «  Foisnard, un minable qui vit sur sa réputation, ben, c'est comme un champion qui ne mettrait jamais son titre en jeu », Carmet qui tend son Vulcani et Marielle qui me nargue « Tu as la tête molle et la cuisse dure. ».

Au kilomètre 85, j'appelle Nathalie sur le portable pour la prévenir que je ferai 9h15 ou 9h20. Sur le coup elle croit que je vais stopper puis s'aperçoit que tout ne va pas si mal. Il n'y a que la plongée de Fred qui me mine.

La fin de course ne sera qu'une gestion à la petite semelle. Je ne suis pas super fort et me laisse souvent aller. Sans avoir recours au bandas, je finis les 2 derniers kilomètres assez vite, tout est relatif.

Après 9h18 de course, je coupe la ligne. Le speaker me tend un micro. Je me souviens avoir dit « je suis vendangé » et surtout avoir rajouté comme un con « j'irai pas à Millau » ! Nathalie, présente sur la ligne, entend ça et veut graver ces magnifiques paroles dans le marbre. Désolé ma chérie, ce sera mon oraison funèbre. Je réserve ces mots pour ma pierre tombale. Ca aura de la gueule, non ? « Désormais, Vincent n'ira plus à Millau ! » ou mieux « Forfait à Millau pour l'éternité ». Quelques massages et une douche plus tard, je dirai donc le contraire avec un aplomb, digne d'un homme politique, qui réjouira Frédéric. Et le soir avec Bruno, je commencerai à préparer ma venue sur le Causse. La nuit, j'en rêverai même !

Pour l'heure je savoure ce moment avec mes copains retrouvés sur la ligne. On n'a pas fait ce qui était prévu mais on est H-E-U-R-E-U-X !!

Aux massages, le kiné me prévient que ma tête de péroné est remontée ce qui explique les douleurs de ma fin de course. Cyrano arrivé, nous filons à la douche. Cela ma permettra de donner des conseils à un débutant qui s'inquiète de l'après course. Je suis formel et professoral, comme un ancien « Pas de levrette le lendemain ». Le gars me prend pour un fada.

Après nous croisons Jean Brengues, monument aveyronnais du 100 bornes qui comme moi a trouvé le parcours plus usant que Millau. Encore vert quant même le père Jean, né en 1932.

Bizarrement, je me sens très frais. Beaucoup plus que d'habitude. La sagesse ?...

Je retrouve enfin Bruno Heubi et sa troupe. Je découvre les premiers de la course. Je suis un peu déçu. Je sens deux mercenaires venus sur le 100 bornes comme sur une autre distance. Ne parlons pas de sanctuaire, de sacralisation, de traditions ou autre, mais il y a une dimension humaine et humaniste dans ces courses qu'ils ont je l'espère ressenti. Je l'espère mais n'en suis pas convaincu.
Que penser -mais cela n'a rien à voir avec le paragraphe précédent- des panneaux indiquant en grand la direction du contrôle anti dopage. Il n'y en aura finalement pas mais la fédération aura sauvé la face.

Je retiendrai de la remise des prix ma rencontre avec Thierry Guichard. Ah, cette rencontre, je l'attendais. Ou plutôt le gamin qui découvrait Millau en 81 et qui est toujours en moi l'attendait ! Pensez, le vainqueur du championnat national 2002 à . Millau. Alors je le connaissais bien en photo mais là je découvre le personnage. Une crème d'yeux clairs qui vous percent, une crème de sourire. Un calme affiché qui ferait envie, une quiétude apaisée qui fait la force des plus grands coureurs d'ultra. Et puis surtout une modestie qui vous éclate au visage. Comment en serait il autrement ? Sa gentillesse et sa stature lui assurent un charisme bien au-delà d'un quelconque palmarès.

C'est avec la famille Heubi que je rejoins le camp de base. Les Heubi prendront les chambres de ceux qui sont rentrés aussitôt après la course. Nous passons une délicieuse soirée arrosée à refaire le monde, les courses passées et surtout à venir. Et surtout la prochaine ! Millau.
D'ici là, je bosserai les étirements des ischios pour que les quadriceps et les genoux me laissent tranquille. Et puis surtout, je ferai du travail excentrique et plein d'autres choses que j'ai en tête.
Mais surtout, surtout une envie de courir et de partager encore ces incroyables moments.
Allez les amis, on remet ça à Millau ? Dites « oui » !...

Amitiés à tous,

Photos Nathalie Mauvin, photos de course toutes prises au km 61.

Retrouver le récit de mon suiveur Dominique et sa vision toute personelle de la course, c'est ici !

Colomiers, 26 juin 2004

Vincent

 

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n. f. Fam. Joie vive et expansive : avoir un air de jubilation.
Contemplation :
n.f. Action de contempler : la contemplation des astres. | Concentration de l'esprit sur des sujets intellectuels ou religieux ; médiatation.
Autrement : adv. D'une façon différente : il parle autrement qu'il ne pense.
(Extraits du "PETIT LAROUSSE illustré", 1977.)
 

Jean Pommier : le blog d'un français, coureur d'Ultra, expatrié dans la Silicon Valley, Californie. Un must !
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L'instant décisif : le site de photos de Pascal David. C'est très beau. A voir d'urgence.
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340km & Fanette : une aventure avec Jean-Pierre Vozel durant l'été 2005
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Tous droits réservés - Textes et photos (sauf mention spéciale) ©2004-2009 Vincent Toumazou