Bafouille
100 kilomètres de Millau 2004, que dire de plus ?
Pour une fois, je vous épargnerai mon humour à deux balles et mes blagues carambar. Cette aventure vaut mieux que mes habituelles digressions oiseuses, dérivatif facile de choses que je n’arrive à exprimer, raccourci de celui qui, rongé par le doute ou les peurs, joue le fortiche.
Un instant, j’ai même pensé faire mienne l’expression « les gens heureux n’ont pas d’histoire » mais non !... Autant coucher sur le papier, autant graver dans la marbre ces instants comme autant de bouées pour les jours de tempête. Me revoilà enfant, 23 ans en arrière au lendemain de mon premier passage à Millau, retourné, terriblement ému par ce que je venais de vivre, persuadé à juste titre que les turpitudes du quotidien, les « mesquineries des autres » me paraîtraient si dérisoires. Et pourtant… Petit(s) retour(s) en arrière.
En fait, à l’heure de partir sur Millau en ce vendredi 24 septembre 2004, tout se bouscule, se mélange, apportant dans mon esprit une confusion –c’est facile… - empreinte d’impatience et de bonheur encore incertain. Pour l’heure je n’ai qu’une certitude, finir ce Millau 2004, revanche (mais est ce vraiment juste de parler ainsi en terme combattant et surtout était ce bien nécessaire ?) de l’année passée en prenant le plus de plaisir possible. Quelque soit le chrono, je veux courir en harmonie, fusion du corps de l’esprit. J’ai l’envie de bien faire mais l’instant venu, en aurai je la volonté ?
L’année sportive qui tire à sa fin ma remis en selle. Le trail de la Vallée de Chervreuse, les 100 km du Loire Béconnais, mon approche nouvelle de la course –pour ma 29ième saison, il était temps !- tout cela concourt à me mettre en confiance. Depuis mon dernier 100 bornes qui date de juin dernier, je n’ai pas fait une préparation spécifique. Des sorties, 5, 6 voire 7 par semaine, guidées pas ma seule envie, mon inspiration et mon expérience. Rien de structuré, du plaisir et trois sorties longues en tout en pour tout, en nature avec un sac sur le dos, ouvert à la nature et à l’écoute de mon corps et de mes sensations. Des sorties comme ça, qui l’air de rien m’auront bien aidé, m’apportant confiance et allure de course confortable, un lot de sensations que j’allais retrouver puis utiliser (je n’aime pas le mot exploiter) à foison sur la route de Millau.
Seule(s) ombre(s) au tableau, nos deux filles qui traînent depuis des emaines une cochonnerie de la pire espèce, manifestions d’une sorte de coqueluche mutante qui leur provoquent des quintes de toux nocturnes à s’en étouffer… Autant d’occasion pour nous de devoir les rassurer, nous levant, 2, 3 voire 4 fois et plus par nuit. Et puis aussi, des doutes partagés avec Nathalie sur notre vie d’aujourd’hui, nos aspirations réelles et nos choix de vie. Peut être la quarantaine qui arrive…
Vendredi matin donc, je suis en congés prêt à finir les derniers préparatifs. Cécile la petite dernière est restée avec moi pour un passage chez le médecin, la nuit ayant été comme les précédentes épuisante pour elle. Le midi, on mange avec mon père et Eric mon suiveur, un collègue de travail à qui j’ai vanté depuis longtemps la fièvre de Millau et l’ambiance si difficilement racontable. En début d’après midi, nous filons vers l’Aveyron, je suis content… content et serein. En arrivant sur Saint Georges de Luzençon, village situé aux kilomètres 52 et 89 du parcours, nous posons nos affaires à la maison que j’ai louée pour le week-end. Et là surprise, nous avons vue plongeante sur la route de la course, à une trentaine de mètres du parcours…
Peu après 18 heures, nous filons aux dossards, l’occasion de retrouver UFOs et Irinautes et de faire connaissance « en vrai » avec ceux que je découvre. Nous filons manger dans une cafétéria où finalement Cyrano et son acolyte bergeracois nous retrouvent. Bref, une bonne soirée, long de la pression qui m’assaille d’ordinaire. La pression, je le retrouverai un peu plus tard en faisant les derniers préparatifs. Là oui, je fais de l’huile… Fred qui me téléphone m’apporte paix et puis le petit coup de fil à la maison finit de me remettre dans l’axe. Je ne commettrai qu’une seule belle erreur, celle de prendre pour la deuxième fois de la journée du jus d’herbe d’orge. Bruno Heubi m’y a converti et depuis deux semaines j’en prenais chaque matin. Vendredi devait être le premier jour de prise bi-quotidienne. C’est donc avec le gazouillis d’un ruisseau dans le ventre que je me couche. Et là le speed monte d’un cran. Il est 22 heures passées, le ruisseau se fait torrent, l’anxiété arrive à ma gagner et un véritable nœud se forme au niveau du sternum, limite envie de vomir. Ah non ! Ca ne va pas recommencer… Finalement je m’endors pour me réveiller peu après minuit et me voilà parti à tourner et retourner dans le lit… A 6 heures, j’ouvre un œil, une heure avant le réveil prévu. Je reste ainsi jusqu’à 7 heures puis ne sachant dans quel état je dois penser être, je finis par me lever. Les tous derniers préparatifs finissent pas m’occuper l’esprit et toute pression semble retomber. Le Gatosport passe nickel, mes suiveurs sont au poil, au point, « au tout » et pas speedés tant et si bien que j’arrive « rique et raque » à la salle des fêtes pour faire pointer mon dossard et poser mon sac à la consigne. Et puis surtout, je rate le rendez vous avec les amis Irinautes et UFOs, je m’en excuse maintenant…
Le départ fictif et le trajet vers la ligne me donnent une dernière fois l’occasion d’une montée d’adrénaline mais les têtes amies autour de moi et les discussions joyeuses font le reste. Le temps est frais, le vent du nord piquant et j’ai donc choisi da partir en tee-shirt respirant avec des manchettes de vélo et un gore-tex sans manches justement. J’ai donné rendez vous à mes suiveurs dès que possible vers le 4ième kilomètre pour débuter mes ravitaillements très tôt. Je sais que ce n’est pas bien, mais je mise sur le fait d’être plutôt sur le devant de la course et donc pas trop englué dans un peloton qui pourrait être gêné par la présence des vélos. A quelques minutes du départ, nous rendons hommage à quelques proches de l’organisation récemment disparu. L’évocation de Costecalde me noue un peu et je me souviens avoir partagé avec lui un bout de chemin sur les hauteurs de Tiergues. A cet instant comme à chaque fois, je remercie je ne sais qui de m’offrir le bonheur de partir sur une telle aventure, un tel parcours. Tiens à ce sujet, il parait que c’est la dernière édition sur LE parcours mythique. Louper cette dernière m’aurait ennuyé…
A 10 heures, le coup de pétard nous libère et je pose mes pieds sur les marches d’un paradis éphémère. Commence alors une journée dont je pense me souvenir longtemps sinon toujours.
4 kms : Comme convenu je retrouve Eric mon suiveur avec qui l’entente est immédiate sur le ravitaillement. Je me porte à hauteur du panier, saisis le bidon voulu et le tour est joué. Le vent est frais et bien présent. L’allure facile me fait naviguer entre 4’42 et 4’50 au 1000, pile poil la cible. Je pose les manchettes mais garde le gore-tex.
5 kms : 23’30 de course, me voilà bien dans l’allure. Ne subsiste qu’un nœud au niveau du diaphragme, signe d’un stress que je sais faire disparaître dès que la course aurait réellement commencer vers le 30ième kilomètre...
10 kms : 47’15 très faciles, une température qui monte, une gore-tex que je tombe et un arrêt pipi. Un paquet fonce sur moi durant cet arrêt ... et passe finalement sans prêter attention à quoique ce soit. Ouf !... j’ai eu si peur. Dans le dit paquet se trouve Anny Floris déjà en tête des féminines.
20 kms : 1h35’30 et bien peu de choses à vous raconter tant le baromètre est au grand beau. Anny Floris est partie loin devant. J’échange quelques bribes de conversations avec des compagnons d’opportunité. Mais je ne m’occupe de personne, concentré que je suis à courir souple, facile, décontracté et surtout joyeux. Oui, c’est cela, heureux d’être là, conscient qu’il est peut être important d’en profiter et que comme je l’ai écrit à quelques uns d’entre vous, cette course peut être ma dernière. Qui sait de quoi la vie est faite ou défaite ? Mon père nous a quitté sur ce tronçon pour aller se poster au sommet de la côte du Rozier, première difficulté du jour. En fait, il s’est comporté comme cela toute la journée. Un chien fou, un gamin... A son âge, tout de même ! Il faudra que j’en parle à ma mère. Mais quant même, ce plaisir partagé, sans avoir à mettre de mots dessus, c’est bien...
30kms : 2h24 et me voilà totalement rassuré. Aujourd’hui je suis vraiment bien et même si je sais que la fraîcheur (je préfère le grand chaud) et le vent nous joueront des tours, je pense pouvoir mener cette course à ma main, mais de main de maître. J’ai dit à mes suiveurs qu’il ne faudrait sûrement pas compter faire un chrono -ce n’est pas mon objectif- mais qu’il serait peut être possible d’être pas trop loin au classement. En riant j’ai rajouté une expression glané sur le forum, « c’est à la fin de la foire que l’on comptera les bouses ! ». Sur ce tronçon, nous avons eu droit à la traditionnelle photo, moment pour moi de prendre mes suiveurs par les épaules, persuadé que je suis que la journée est déjà à marquer d’une pierre blanche. J’aborde néanmoins le tronçon de 10 kms à venir avec anxiété. A chaque fois, il m’est interminable voire quasi fatal. Ce ne sera pas le cas cette année...
40 kms : 3h12 et le plan de marche -prudente- totalement respecté. Depuis quelques kilomètres, j’ai un petit coup de moins bien. Je viens de redoubler Anny Floris mais je sens poindre une petite hypo. Depuis le départ j’alterne des prises de caloreen avec des prises de 50% coca + 50% eau. En entrant dans Millau, je demande une pâte de fruits et je fais le dos rond, essayant de me décontracter et restant positif. Le coup de pompe sera très passager et mon passage au marathon en 3h22 n’a rien de comparable avec mes habituelles prestations. Je n’ai aucune douleurs nulle part. En traversant Millau direction la sortie et l’âme de cette course, son cœur, ses cotes, je me surprends à chercher les mauvaises sensations. Je n’en trouve pas ? Alors, allonz-y Alonso, c’est mon jour !
50 kms : 4h08 et un dernier tronçon de 10kms avec la fameuse cote de Raujolles sous le viaduc passée avec prudence. J’ai marché 2 ou 3 minutes sur la deuxième moitié de la bosse et j’ai repris sans mal ma position relative sur ceux qui m’entourent. Un moment le ravitaillement ne m’a plus fait envie et des crampes aux adducteurs se sont annoncées. Seulement annoncées... J’ai donc pris une Sporténine avec de l’eau pour changer. Et puis Eric a allégé le dosage de mes breuvages (pour la Caloreen je passe à 60g/l au lieu de 80). Finalement, une certaine euphorie me gagne. L’an passé au même endroit, c’était « bonjour tristesse », renoncement proche et larmes qui montaient. Là je me dis que je serai peut être un des compteurs de bouses (et aussi de ceux qui racontent des histoires de merde mais ça vous le saviez déjà !).
Je ne pense même pas que j’ai seulement avalé la moitié du banquet du jour. D’ailleurs je ne raisonnerai jamais ainsi, fractionnant la course en petits tronçons successifs que je connais si bien, attentif à la gestion du moment et à la difficulté du tronçon à venir.
A ce moment, je n’ai aucune douleur aux jambes. Je me sens comme neuf retrouvant à l’identique les sensations des mes rares sorties (3 seulement en 3 mois) longues courues en nature sans notion d’allure ou de temps. J’avais travaillé l’aisance et le relâchement. Je les retrouve comme des bouées dont je n’ai finalement pas un besoin vital. Mais la course est à ce moment festive et joyeuse. Des années que je cherchais cela. Millau me l’offre, j’en ai en l’écrivant beaucoup d’émotions. Mes paroles sont rares avec mes suiveurs mais je pense qu’à ce moment, ils lisent le bonheur sur moi.
Seul problème anodin à ce stade de la course, le pied droit qui demande un desserrage de chaussure. Ce sera à mon avis ma seule grosse erreur. Ne pas avoir changé de chaussures. Les Adidas Supernova ne m’offre pas le confort des pantoufles de la Super Mammie du même super nom. Je le paierai cash en repassant au même endroit quelques heures plus tard.
60 kms : 5h01’50 et 53’30 sur le dernier tronçon de dix kilomètres. En prenant en compte l’arrêt chaussures, c’est plutôt sympa. J’ai bien gazé sur ce tronçon tout en faux plat montant qui file sur Saint Rome. En plus, je n’ai pas grillé mes cartouches pour Tiergues que j’attends avec impatience. Sur cette partie, le téléphone commence à chauffer. Après « ma Nathalie », c’est Fred qui appelle. Ces marques d’attention me boostent. Je ne stoppe pas en passant dans Saint Rome, je file vers l’antre de la course après avoir commandé une compote liquide à mon suiveur.
Sur le bas de Tiergues (4 kms à 8% dans ce sens) je peaufine ma forme en mangeant tout en adoptant une stratégie Cyrano-intelligente (voyez vous comme la proximité de ces mots confine au pléonasme ?) de 3 à 5 minutes de course selon la pente alternées avec une minute de marche. Cette technique est payante et me permet de passer la difficulté comme une fleur (au teint pur purin) en faisant le vide parmi mes compagnons. Bilan de la montée, 35 minutes pour passer du km 60 ou km 65 et me rapprocher un peu plus d’un rêve que je sens à portée de mains.
En passant devant le ravitaillement de Tiergues (que je snobe avec l’assurance de ceux qui savent que leur suiveur n’a pas la clef de la maison), je rattrape Xavier Swhan, un copain bordelais de mon « époque rapide » qui fait là son premier 100 bornes. En le passant, je fais la malin, l’encourageant à profiter de cet instant pour boire et manger et me voilà parti dans la descente. Comme je me le suis imposé depuis le départ, je descends raisonnablement (à un peu plus de 12km/h) sans lâcher les chevaux...
70 kms : 6h01’30 et les mouches sont en train de changer d’âne... Jusque là et c’est la première fois depuis que je viens à Millau, j’ai couru quasi-non stop, marchant environ 6 minutes depuis le départ. Ce pourrait être parfait mais la descente m’a été fatale. Petit à petit j’ai arrêté d’encourager ceux que je croisais, remontant vers « Tiergues retour ». Le panneau 70 s’est fait désiré en je m’accorde une halte à sa hauteur. Je me ravitaille enfin correctement car les chocs de la descente m’avaient conduit à réduire les prises de liquide. Au prix d’un gros effort, je repars vers la salle des fêtes de Saint-Affrique funeste théâtre de mon abandon de l’an passé. Là, je connais clairement un passage difficile voire très difficile. J’apprendrais bien plus tard qu’à ce moment de la course, je suis 24ième. Xavier me retrouve devant la table de ravitaillement (c’est la première fois que je m’arrête), j’ai pas l’air d’un couillon, tiens !
Eric me passe un gel, je bois un coup et je repars en courant. Je n’ai toujours pas de gros mal aux jambes, je sens un peu les cuisses, premières traces de la descente. Contre toute attente, dès les premières pentes retour de Tiergues, dans les plus forts pourcentages, je retrouve la pêche appliquant la stratégie de marche/course alternées qui m’a réussi à l’aller.
Je remonte Tiergues ainsi avec une aisance qui m’étonne, porté par les encouragements de ceux que je croise et qui sont donc derrière moi. Je peux aussi mesurer les écarts que j’ai creusés sur certains qui m’accompagnaient dans les premiers kilomètres. Cela me rassure un peu plus. Avec la montée et les périodes de marche, j’ai retrouvé le rythme de ravitaillement même si Eric a maintenant adopté son propre rythme d’ascension. Après deux kilomètres d’ascension, j’ai lâché Xavier qui a fait le choix de courir non stop. Ma stratégie d’alternance me permet d’aller plus vite grâce à mon rythme sur les périodes de course qui se situe près du 10km/h dans la pente.
En arrivant au ravitaillement de Tiergues, Eric s’arrête pour faire les pleins et j’aperçois de loin mon Titou de père qui était resté au sommet pour se ménager un peu. Le vent balaie la partie haute de la difficulté. Mon père à mes cotés, je dois me contenter d’eau. Eric tarde à me rattraper et en tournant sur la droite vers la descente qui va nous ramener sur Saint Rome, je sens les premiers signes d’une grande fatigue. Avant de plonger vraiment dans la descente, je renfile le gore-tex. Ce n’est pas bon signe. Les encouragements de ceux qui finissent leur première ascension n’y font rien.
Réelle fatigue, hypoglycémie, manque de courage, je ne saurais jamais. La messe est dite, les 9 heures filent définitivement et je vais me résoudre à rentrer pour finir.
80 kms : 7h11 et un dernier 10 kilomètres pénible. Même la descente sur Saint Rome ne m’a pas permis de repartir. Pire, malgré l’absence de douleurs musculaires, je stoppe au panneau pour souffler et boire un peu. Je ne suis même pas déçu, je suis heureux de la tournure des évènements et je me dis que je vais rester sur cette gestion douce de la fin de course.
Un bref arrêt au ravitaillement de Saint Rome et je repars en prenant un nouveau gel, histoire de réamorcer la pompe. Je n’ai donc pas perdu tout espoir surtout sur la portion favorable qui se profile jusqu’à Saint Georges et sur laquelle à l’aller (en faux plat montant pourtant) j’ai été si bien...
Marchant le temps de prendre le gel, je vois un avion me passer. C’est Anny Floris ! Et voilà, je serai au mieux deuxième féminine. Bravo Anny, go, go Anny ! Je repars enfin et retrouve une vitesse de croisière acceptable. Phil Billard s’est joint à moi en sortant de Saint Rome et nous allons faire ainsi 2 ou 3 kilomètres, je ne sais pas bien. Sa présence me fait du bien et puis je croise mon copain Jean-Yves en route vers son premier et Koline, débutante elle aussi et d’une grande fraîcheur. Phil a la foulée étonnement légère et aérienne, ça tranche avec mon allure de tracteur que la fatigue insinue. Le pied droit devient à présent franchement douloureux et alors que jusque là, la douleur n’apparaissait que dans les pentes, je la sens poindre, brûler et irradier depuis la cheville.
La route jusqu’à Saint Georges sera longue et ponctuée de nombreux arrêts. Des coureurs plus en jambes me passent... Je stoppe au ravitaillement de Saint Georges sans m’y attarder, pressé que je suis d’attaquer la dernière grosse cote du parcours. J’hallucine encore de ne pas l’avoir redoutée.
90 kms : 8h19 et je viens d’entamer le cote de Raujolles. Je sais qu’au sommet, sous le Viaduc, c’est la vue sur Millau... Le dernier tronçon qui aurait du être facile a été un calvaire. A présent, ça sent l’écurie et j’ai retrouvé des forces. J’ai envie « d’envoyer du pâté », de me mettre à la planche, de souder comme un malade ! Je reprends ma stratégie de course/marche et j’ai l’impression d’avaler la difficulté, doublant puis lâchant les gars qui me précèdent. Malheureusement sur le haut la route est en dévers et cela me provoque une douleur irradiante incroyable à la cheville droite. Je dois me résoudre à marcher par moment, craignant de tout exploser dans mon pied. Voilà, je me suis pris les pieds dans les bouses que j’aurais du compter ! J’en ressens une grande frustration. Dans la descente, la douleur va encore croissante m’obligeant à marcher sur la fin.
L’UFO Pascal Caquet me rattrape alors comme d’autres coureurs ce qui me frustre un peu plus. J’ai encore des bonnes jambes, je suis bien, j’ai envie, j’ai la volonté mais voilà, je dois me résoudre à faire le dos rond, à patienter... Des gars que j’avais croisés dans Tiergues et qui me semblaient loin sont même revenus... Le dernier « coup de cul » de Creissels est monté en marchant pour économiser le pied. J’ai pris en gel pour patienter et en haut, je me dis que de toutes les façons, douleur ou pas, je serai à l’arrivée. Alors je lâche tout et je finis comme jamais ça ne m’était arrivé. Il y a quelques faux plats dans la ville mais en compagnie de trois autres coureurs on file à un bon 10 ou 10,5 km/h. Je sais, c’est peu mais d’ordinaire, je me traînais lamentablement sur cette arrivée.
En remontant l’avenue qui mène au parc de la Victoire (le bien nommé !), je parler avec Eric et mon père. On se congratule, s’auto-satisfaisant de cette formidable journée.
100 kms : Après 9h26 de course, j’explose de joie. Je suis certes au delà de des 9 heures mais qu’importe. Que de chemin parcouru depuis un an... J’ai vraiment progressé mais pas en vitesse. En vie tout court et cela vaut tous les chronos du monde...
L’après course sera une guirlande de sourires, de rires et de petits ou grands bonheurs. Les appels à Nathalie, à ma grande Anna, ma mère, mes potes... Ah ceux là !... Et puis je ne me lasse pas de traîner avec les présents les Cyrano (nickel tes fritons même avec une petites bière... Au fait pourquoi, « petite » ?), mmi, Phil, Christian Reina et « sa Cécile ». L’arrivée du « squale Vincent » me ravira avant que de rentrer se coucher.
Je crois que mes suiveurs sont contents de leur journée. Moi aussi ! Des sentiments se bousculent, patchwork de rires, de sensations exaltantes et de paysages superbes. Pas une seule fois, je n’ai eu l’impression de me faire violence, d’aller contre mon corps. Un sentiment prétentieux et illusoire de force et de maîtrise. Mais qu’il est bon de le retrouver...
La saison qui s’ouvre, ma trentième (eh, oui...), s’annonce pleine de promesses. Cette course m’a redonné confiance. Je ne suis pas loin d’avoir trouvé ma solution ravitaillement. Et puis cette pratique joyeuse, quasi festive (pas au sens Marathon de Médoc...), ouverte sur l’extérieur, sans stress, c’est un plaisir de chaque instant.
En retournant sur Saint Georges, notre lieu de logement, nous croisons le ruban lumineux des coureurs de la gaussienne. Nous les encouragerons tous. Nous ne résisterons pas au plaisir de rester un moment au bords de la route à la sortie du village, au bas de « la cote », pour les encourager et trouver Jean-Yves à quelques foulées de sa première millavoise.
Le lendemain, je me réveille léger sans douleurs. Heureux, simplement heureux...
Colomiers, le 28 septembre 2004
Vincent
Retrouvez également ma passion pour les 100km de Millau sur :
- Ma page de départ sur Millau ici,
- Ma participation à Millau 1994 dans un texte musical, c'est ici,
- Ma participation 2003, c'est ici,
- Ma participation 2004, c'est ici,
- Ma participation 2006, c'est ici,
- Mon billet d'amour, c'est ici,
- Le parcours en long, en long et en long, c'est ici,
- La page consacrée à Millau chez Bruno Heubi, c'est ici,
- Un article sur la préparation de Millau co-écrit avec Bruno Heubi, c'est ici,
- Le site officiel de la course, c'est ici.
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