D'ici et d'ailleurs
Le GRascon ou le GR en Gascogne...
Ce vendredi 6 aout 2004, premier jour de mes congés d'été, restera longtemps dans ma mémoire, comme un point de départ de plein de projets (mais je ne peux pas en dire plus à ce jour), comme une ligne s'ouvrant en plein de perspectives.
(NDLR : les images sont cliquables, profitez en !)
« Ma Nathalie » démarrant ces vacances le vendredi soir, j'avais donc une journée blanche pour moi. Enfin presque car entre toutes ces choses que je traîne à faire depuis des mois, j'avais de quoi occuper 10 journées comme celle là. J'avais quant même fini par céder à la tentation. Celle d'une idée qui avait germé dans mon esprit faible en début de semaine. Je me ferai donc une sortie OFF sur le GR depuis le Gers. Ainsi fut dit, ainsi fut fait.
Cric, Crac, je mets la clef.
Cric, Crac, je tourne la clef.
Cric, Crac, l'histoire va commencer.
Depuis deux jours, l'impatience m'a gagné. Une impatience toute enfantine, de celle que je ressentais avant les départ en vacances avec mes parents. J'ai tout pensé, tout calculé, tout imaginé, tout rêvé. Quelques ronflements d'ours après 6 heures, je ne suis donc pas étonné d'ouvrir les yeux et de piaffer. A 10 ans déjà, je faisais la même chose les jours de grand départ, de grande traversée vers les Vosges. J'imaginais que j'allais faire un voyage fou et extraordinaire. Comme ce matin.
Je traîne encore un peu, je glandouille dans le lit à me dire que si je veux, je peux rester au paddock. Mais justement, je ne veux pas ! A 7 heures et demi, après un rapide petit déjeuner, une bise à ma belle et une préparation minutieuse quasi fébrile du sac à dos, j'arrive donc dans ma merveilleuse Twingo sur le divin parking de la superbe gare de Colomiers. Quel monde merveilleux et enchanteur. Quel monde cruel aussi ! En fermant la portière du bijou mi-étron roulant mi-exposition de rayures, je vois filer le TER d'Auch sous mes yeux. Ca commence bien. Pour 4 euros, j'achète mon billet pour le suivant, celui de 7h45.
Les 30 minutes de voyages me permettent de savourer par avance ce qui m'attend. Les forêts que l'on traverse, les collines que j'admire me mettent en appétit. Et je me retrouve plus de 30 ans en arrière quand, petit garçon, je regardais la Micheline crème et framboise serpenter dans la vallée vosgienne en contrebas de la ferme de mon parrain. Des jours durant, je badais ce petit train et son appel dont j'ai encore dans l'oreille les sonorités chantantes et enchanteresses. Certains étés, j'avais droit à ma balade ferroviaire. On me déposait au train à une vingtaine de kilomètres puis j'étais attendu à la gare de Remiremont, voyageur lointain, conteur imaginatif de quelques minutes de périple merveilleux.
A 8h20, je quitte la gare sans âme de l'Isle Jourdain dans le Gers. Seules les paroles des quelques voyageurs chantent, « des torrents de cailloux roulent dans les accents ». J'aime ça, j'aime ce sud-ouest. Aussitôt en sortant de la gare je prends la route départementale sur la gauche. Je teste alors en vrai mon équipement du jour. Une paire de chaussures de trail, un short, un maillot « technique » blanc, une casquette et au dos, un sac petit format (un 5 litres) rempli « raz la gueule ». En fait je peux bien le dire, je suis équipé en 100% Décathlon ! Dans mon sac, 2 litres d'eau dans la poche, quelques barres chocolatées, pâtes de fruits, un téléphone « au cas où » et un appareil photo. Bref, ça pèse mais ça ne gène pas. Après 500 mètres sur la départementale, la signalétique rouge et blanche du GR que je vais suivre, me fait prendre une petite route sur la droite. Aussitôt, la route s'élève. Ca et là, quelques jolies maisons entourées de terrains en pente, fleuris, soignés et baignés du soleil matinal.
Je ne suis pas vraiment sûr de ce qui a pu me pousser à entreprendre cette sortie dont j'ignore à cet instant la longueur exacte, 28, 30, 32 kilomètres, qu'importe à vrai dire. Ce jour est coincé entre deux cent bornes. Le championnat de France de Loire Béconnais du 20 juin dernier et les 100 km de Millau, « mon épreuve », le 25 septembre. Loire Béconnais a été en demi-teinte, et sur les conseils de Bruno Heubi, mi-pote mi-idole, je n'ai pas prévu de vraie préparation, une deuxième en quelques mois., pour la belle millavoise. L'article que nous avons co-écrit pour le numéro d'été de Running Attitude a fini de me motiver. Et puis après mon échec de l'an passé, le premier en 7 participations à Millau, je me suis promis de reconquérir la beauté du Causse. J'irai juste guidé par mon instinct, mes expériences et surtout mes envies. Et la sortie du jour fait partie de ce programme de dilettante jouisseur.
J'adopte dès le début un rythme tranquille, raisonnable, confortable. J'ai décidé de prendre le temps de tout. Le temps de sentir, écouter, regarder. Le temps de boire, de manger, de faire des photos. Le temps de vivre simplement.

Et la montée se poursuit, tranquillement mais plus que sûrement. Sur ma gauche, la vallée de la Save s'ouvre au milieu des vallons. Une brume la drape encore de blanc et joue de la lumière sous le soleil rasant. Au loin vers la Garonne, vers les coteaux du Frontonnais, brume et ciel ne font qu'un ; dernier signe d'une nuit fraîche qui s'ouvre sur une chaude journée d'été. La chaleur montante promet un ciel d'août comme je les aime. D'un bleu pur tirant peu à peu vers des teintes délavées au fur et à mesure de la montée du mercure. En me retournant, j'embrasse un panorama coloré. Des jaunes, des verts, des ocres, des marrons déclinés en une palette de nuances ravissent mes pupilles. Au sud, je devine les Pyrénées que la brume de chaleur cache comme pour se moquer de moi. Tous le savent ici, « Quand on voit les Pyrénées, c'est qu'il va pleuvoir. Quand on ne les voit pas, c'est qu'il pleut déjà. » Et pourtant, je ne les vois pas. Je me console avec les bruits lointains des fonds de vallées et vallons gersois. Une cloche d'église, un chien, un tracteur. Une vie paisible, un décor de « pleasantville » pour les créateurs de pub.
Au sommet de la première bosse, longue, à la pente douce et régulière, la route devient chemin. Entre les arbres qui bordent mon passage, des écrans de toutes beautés. Des écrans de fleurs, des lignes d'horizon dessinant la crête des champs, une terre ocre presque dorée par la lumière du jour. C'est superbe. Comme la vie est belle à cet instant et comme ces moments de quiétude solitaire me font du bien. Un moyen doux de refermer la porte de mon bureau sur des mois mouvementés, tortueux et usants.
A présent, le chemin descend le long d'un champ de tournesols. Leurs fleurs colorent les champs d'or ou de bronze, c'est selon leur avancement. Conjuguée aux sillons géométriques des labours, cette peinture à 360° me rend fou. Mes yeux vont et viennent, à la recherche permanente d'une nouvelle image merveilleuse.
Au bas du chemin, je retrouve une route bordée de saponaires, ces petites fleurs mauves violettes aux vertus savonneuses dixit mon ami Desnambuc. Face à moi la route s'élève pour une deuxième bosse, longue et difficile, un bon 10% dans la pente. Mon rythme de sénateur me permet de passer cette difficulté sans y penser mais sans oublier de regarder autour de moi en tendant l'oreille à tous les bruits. A mi pente, je rentre dans des bois sombres et fournis annonciateurs de mon entrée prochaine dans la forêt de Bouconne. L'humidité de la nuit a laissé quelques odeurs entremêlées. Mon nez s'y perd et je ne saurais en dire plus.
Après une cinquantaine de minutes, je fais mon entrée dans la forêt des Toulousains. Un endroit que jusque là je considère comme le parc des Toulousains, des citadins endimanchés venus faire leur promenade dominicale digestive. Quel con je fais !
La traversée de la forêt durera quatre vingt minutes, égarements compris. Des minutes de ravissement et de « ravisement » pour me faire changer d'avis, des minutes de jeux de lumières somptueux. La sortie de ce jour a été faite d'ouest en est, face au soleil donc. Si cela pose des problèmes pour se repérer, les yeux ne s'en délectent pas moins du scintillement des feuilles dans le soleil et des rayons perçant le toit de verdure épais et dense dans le plus pur style David Hamilton.
La première partie dans la forêt, jusqu'à la traversée de la première route, la RD 42, offre de la diversité. Ca vire, ça monte, ça descend. Mais la vigilance est de mise, les changements de direction à chaque carrefour sont fréquents et mieux vaut être aux aguets, lorgnant le rouge et blanc du GR. Le sol est souple et les nombreux petits tas de bois prêts à être enlevés donnent un charme de conte pour enfant à l'endroit. Les arbres, essentiellement des chênes et des pins, se détachent dans le ciel bleu azur offrant une ombre fraîche et des odeurs caractéristiques quoique moins marquées qu'en automne ou au printemps.
Après la traversée de la première route, le deuxième tronçon change de profil. Les côtes y sont moins fréquentes mais sont à classer dans la catégorie « raidars ». Le chemin y est plus droit et marque en longeant la partie Est de la forêt une démarcation entre les pins et les chênes. C'est étonnant et lever la tête offre des vues que j'adore. La cime des pins semble danser dans le ciel au gré du vent. Par moment, le sol devenu plus sablonneux fait monter à mon nez des odeurs si caractéristiques de chez moi. Peu avant la traversée de la deuxième route RD 24, fin de ce que j'appelle le deuxième tronçon de la forêt, je perds le fil du GR. Je ne suis pas égaré mais je me doute que je ne devrais pas emprunter la route et avec le jardinage qui s'ensuit, c'est 3 à 4 kilomètres que je rajoute à mon compteur. Celui-ci affiche maintenant un peu plus de deux heures de course et les arrêts photos et les pauses gourmandes aidant, je ne ressens aucune fatigue. Je ne traîne pourtant pas et depuis quelques minutes, je me suis laissé aller sur les tronçons rectilignes du chemin. Retrouvant les appuis du crossman qui doit toujours vivre en moi, j'ai forci l'allure, alignant sur quelques kilomètres un bon 14-15 km/h. Je sors alors du sujet et par sagesse, par envie ou par bonheur tout simplement, je reprends mon allure de promenade, confortable à souhait, contemplative par passion.
Le troisième tronçon dans la forêt n'est pas celui que je préfère. Je le connais bien pour le faire parfois en aller retour depuis chez moi. Le sol est argileux et il s'avère ou très glissant lorsqu'il pleut ou plus dur que la route lorsqu'il est sec. Le passage des VTTistes creuse des ornières redoutables pour les chevilles. Bref, je n'aime pas d'autant que la sortie prochaine du bois promet un long passage ensoleillé au milieu de champs.
Avant de passer à découvert, je prends quelques photos et profite de l'arrêt pour me restaurer un peu. Ces deux minutes tout au plus me refont une cerise du tonnerre et je repars chantonnant dans ma tête des airs qui m'accompagnent depuis le départ. Le dernier CD de Frandol avait bercé ma préparation de Loire Béconnais, le dernier Luke égayera celle de Millau. Cet ersatz pêchu de Noir Désir à la basse aussi dure que le « Ciment sous les plaines » (comprenne qui voudra) tourne dans ma tête.
« Tu as le regard des courses que l'on perd
Comme tant d'autres que toi
Amis révolutionnaires !
Est-ce que le fou est devenu roi. »
L'horizon s'est dégagé devant moi. Autour de moi aussi. A perte de vue, des champs à la terre brune dorée, une perspective cassée au hasard de maisons et de fils suspendus. Après un gros quart d'heure ainsi à découvert, je traverse la D37 et m'enfonce de nouveau sous des arbres, sur une pente douce descendante. Je commence à retrouver un peu de monde aussi. J'avais jusque là fort apprécié ma solitude. Au bas de la descente, je vire à gauche puis je suis le « chemin des Anes », normal me direz vous ! La grave blanche réfléchit le soleil violemment. Après un kilomètre et demi, je tourne à droite après la Fontaine Sainte Germaine. Cette fontaine mérite un arrêt. Le mécréant que je suis n'en est pas moins touché par les nombreux messages de dévotion ou de détresse laissés là comme d'ultimes bouées jetées à la mer.
Je coupe la voie ferrée empruntée ce matin et je monte droit sur le bourg de Pibrac. Arrivé sur le parvis de la Basilique, j'en profite pour m'alimenter. Si la basilique est remarquablement sans intérêt ou presque, l'église qui lui fait face est ravissante avec son clocher fronton. Je fais quelques photos, puis je redescends sur la route de Cornebarrieu. Après le passage à niveau, je tourne à gauche vers les vergers qui me ramènent vers Colomiers. Le marquage du GR devient approximatif et je fais des tours et contours en pensant le suivre. Ce sont des endroits que je connais à la perfection pour les emprunter toute l'année sans pour autant connaître le tracé exact du GR. Au fond de la vallée, je traverse l'Aussonnelle sur un petit pont de pierre rouge recouvert de lierre. Je me souviens alors de ce soir sombre de janvier où le cours d'eau en crue avait failli m'engloutir dans ses eaux tumultueuses lors d'une sortie d'entraînement.
Je suis alors tout proche de la fin de mon périple. Je connais le moindre caillou et la lassitude m'envahit alors. La chaleur me pèse soudainement. Je rêve de la bière fraîche que je vais boire en arrivant. Après 3h32, je retrouve la parking de la gare de Colomiers.
Le temps m'a paru court, précieux. Le temps de regarder, sentir, écouter, le temps de vivre... Quand le corps et l'esprit dialoguent ainsi sans se brutaliser atteignant une quasi-harmonie, la vie prend un tout autre gout. Un souffle, le mien comme le métronome de ces moments. Le bruit de mes foulées. La sensation d'être vivant. La certitude d'être heureux.
Pour un premier jour de vacances, je ne pouvais rêver mieux. Et j'ai toujours dans ma tête cet album de Luke qui m'a accompagné comme une ritournelle, "...je cours comme un homme...". Moi aussi et j'aime ça !
Textes et photos : Vincent Toumazou - Tous droits réservés
Lacanau, aout 2004
Vincent
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